Nicolas Clément : « Être catholique, c’est croire que tout homme a une valeur »
Bénévole au Secours Catholique depuis 1993, Nicolas Clément intervenait aux Tribunes de la Presse, dans le cadre d’une conférence sur l’identité religieuse au sein d’une société laïque. A cette occasion, il revient sur le rôle que joue sa foi chrétienne dans son engagement auprès des plus démunis. Entretien.
Propos recueillis par Manon MORISSE et Isabelle VELOSO VIEIRA
A quel point diriez-vous que votre foi façonne votre identité individuelle ?
Nicolas Clément : Moi, je suis multi-appartenance. Ma foi est un élément très important de mon identité mais d’autres éléments y contribuent. C’est le cas de mon milieu, de ma famille, de ma formation, du travail que j’ai fait, de mon appartenance géographique avec Paris d’abord, la Normandie ensuite, puis l’Algérie où j’ai passé du temps et la Colombie où je suis né. Tous ces éléments se croisent pour arriver à mon identité, à ce que je suis aujourd’hui. Et ce croisement, en effet, a un soubassement chrétien catholique. Mais ce n’est pas la seule dimension, même si cela a une grande importance.
Qu’est-ce qui vous anime dans la religion et la foi chrétienne ?
N. C. : L’idée du Christ et de l’homme est, pour moi, essentielle. Il y a un poète chrétien qui s’appelle Patrice de la Tour du Pin qui dit : “ tout homme est une histoire sacrée. L’homme est à l’image de Dieu.” Le chrétien doit considérer que tout homme est une histoire sacrée, autrement dit, même le plus sale type a une humanité. De mon point de vue de chrétien, je dois continuer à le considérer comme homme. Un chrétien doit aussi être quelqu’un qui va à la rencontre de l’autre. Nous avons vraiment besoin d’être confronté à nos différences de temps en temps, et même parfois de s’engueuler.
Dans votre livre, Une soirée et une nuit (presque) ordinaires avec les sans-abris, publié en 2015*, vous expliquez votre engagement au Secours Catholique ainsi : “Alors, par éducation, par foi, par conviction, j’ai voulu tenter la rencontre avec ces personnes”. Expliquez-nous ce qui motive votre engagement auprès des plus démunis.
N. C. : Trois raisons. Premièrement, mon père, qui était le premier enfant de ma grand-mère, a récupéré un album photos complètement anonyme. Nous ne savions absolument pas qui étaient les gens là-dedans. Je me suis dit que c’était dommage. Ces gens ont eu une existence et puis nous les avons oubliés. C’était le premier signe. Celui qui m’a fait dire que je voulais donner une chance à chacun de continuer à exister. C’est donc pour cette raison, en grande partie, que j’ai voulu rencontrer des sans-abris et écrire sur eux pour les faire connaître, et pour qu’on sache qui ils sont. Ensuite, j’ai écrit des livres d’histoire sur des personnages inconnus oubliés du 18e siècle. Cela n’a rien à voir avec mon engagement, mais dans les deux cas, il s’agit de rencontrer l’autre et ainsi de faire mémoire. Deuxièmement, quand j’étais en classe, nous faisions du sport, mais pour ce qui me concerne, c’était une catastrophe. J’étais nul. Dès qu’il y avait des sports d’équipe, mes camarades ne voulaient pas de moi. A ce moment-là, je me suis dit qu’il ne fallait pas que cela arrive à d’autres, que d’autres soient ainsi exclus. Et enfin, troisième raison, quand j’étais en classe de seconde, nous étions obligés d’avoir un engagement à côté de l’école pour apprendre à s’occuper des autres. J’avais choisi d’aller voir chaque semaine pendant une heure un vieux monsieur aveugle très isolé à cause de son handicap. A la fin de la seconde, tous mes copains ont arrêté leur engagement. Mais pour ma part, comme j’aimais beaucoup ce monsieur, j’ai continué à l’accompagner pendant 10 ans jusqu’à sa mort. J’avais plaisir à le rencontrer et cette obligation s’est transformée en joie. Cette rencontre m’a parue assez essentielle dans la construction de mon engagement.
Votre engagement et l’aide que vous apportez aux gens qui vous entourent, est-ce un moyen selon vous, d’inscrire votre foi dans la société ?
N. C. : Oui, complètement. J’ai travaillé notamment dans une structure professionnelle qui accompagnait des cadres. Il y avait un journal dont j’étais le directeur. Un beau jour, cet organisme décide de fermer le journal. Les responsables en avaient le droit, c’était leur choix. Par contre, une chose me révoltait. Ils avaient beaucoup d’argent à l’époque, plusieurs millions dans les caisses, mais ils se sont débrouillés pour pratiquement ne pas nous indemniser. Nous étions assez furieux. J’étais le directeur, donc théoriquement plutôt du côté des chefs, et du mauvais côté pour les employés. Mais j’ai décidé de rejoindre les employés, un peu perplexes au début, qui se sont organisés pour nous défendre. Je n’avais rien à gagner en les aidant en tant que non-journaliste. A la fin de ce conflit, ils sont venus me voir pour me demander si je n’étais pas chrétien. C’est le plus bel hommage qu’on m’ait fait, car je ne leur avais jamais parlé de ma foi. Je me suis dit alors que quelque chose s’était manifesté. Je ne sais pas quand. Je ne sais pas comment, mais cela m’a beaucoup touché.
Votre foi et votre identité religieuse vous permettent-elles, selon vous, d’être plus à même de venir en aide à des personnes sans conviction religieuse ?
N. C. : Pour ma part, Il est absolument indispensable d’aider tous ceux qui me demandent de l’aide. Ceux qui ne veulent pas, je ne les aide pas. J’aide aussi ceux qui peuvent m’agacer parfois et c’est là que ma foi est une aide. Les Roms, par exemple, sont des gens très pauvres, et ils ont souvent des tonnes de formalités administratives à faire. Assez régulièrement, ces personnes ont des rendez-vous, mais ne les honorent pas toujours. Il y a parfois une raison qui nous échappe et qui peut nous agacer. Mais, je me dis que je dois, malgré tout, toujours être bienveillant et accepter cela. Quelque fois, il me faut aussi lutter avec l’équipe et certains qui auraient tendance à dire : “Bon, celui-là, je lui ai donné cette chance maintenant, il se débrouille”.
Quelle approche avez-vous de la laïcité au sein du Secours Catholique ?
N. C. : Le Secours Catholique ne cache pas son appartenance religieuse. Dans son logo, il y a une croix, mais en même temps, nous sommes là pour absolument tout le monde. Surtout, nous ne disons ne dit pas aux gens : “tu peux boire un coup mais tu dois faire un signe de croix avant”. Il y a des endroits où cela se fait malheureusement. C’est épouvantable. Un scandale absolu parce qu’évidemment, cela crée un rapport de domination complet sur la personne. Pour le Secours Catholique, nous sommes complètement laïcs dans cette approche, tout en gardant notre foi.
Œuvrer au Secours Catholique, est-ce, selon vous, un obstacle pour des personnes ayant besoin d’aide et qui n’ont pas de religions ou des religions différentes ?
N. C. : Cela pose quelques fois un problème notamment pour les bénévoles potentiels. Il y a des bénévoles qui ne veulent pas venir, parce que nous avons une étiquette. Nous demandons à tous d’adhérer à nos valeurs, de croire que tout homme a une valeur. Nous devons être inconditionnels et réserver un accueil favorable à tout le monde. Lors du confinement, beaucoup de jeunes se sont retrouvés enfermés et n’avaient plus de liens. Nous avons donc vu arriver tout un tas de jeunes. C’étaient des personnes avec des niveaux d’études faibles, qui étaient pour une partie musulmane, et dans certains cas, faiblement alphabétisés. Ils sont arrivés en rangs serrés. Ils avaient peur d’être chez les chrétiens. Ils ont été très bien accueillis et nous avons fait de nombreuses activités avec eux.
Vous avez longtemps travaillé auprès de la communauté Rom. Quelles sont ses caractéristiques identitaires ? De multiples religions se retrouvent de cette communauté, peut-elle quand même se fédérer ?
N. C. : La communauté Rom n’est pas fédérée du tout. Les Roms n’existent pas. C’est une invention. Historiquement, du XIe au XIVe siècle, ils sont partis d’Inde parce qu’ils étaient déjà très misérables là-bas. Ils se sont répandus. Certains sont passés par l’Europe centrale, les “Gypsies” par l’Égypte et “les bohémiens” par la Tchécoslovaquie. Ils ont en général pris la religion du pays où ils étaient. Les Roms de Roumanie, ceux que je connais, sont essentiellement orthodoxes, parce que la Roumanie était orthodoxe. Ceux de Bosnie sont musulmans parce que la Bosnie est musulmane. Mais ces Roms vivent leur religion à peu près comme nous, c’est-à-dire qu’une très grande majorité n’en n’a pas. Les Roumains que je fréquente sont très religieux au moment de Pâques et de Noël, lors des grands moments familiaux où beaucoup rentrent en Roumanie. Il n’y a donc pas de caractéristiques identitaires des Roms au sens de grand groupe ethnique ou social. La plupart ne se reconnaissent pas comme Roms. En effet, quand je parle avec eux, ils ne s’identifient pas comme “roms”. Ils se sentent plutôt comme des tziganes ou des gitans. En fait, ils disent souvent : “moi, je m’en fiche de ça. Je suis de ma famille, ce qui compte, c’est la famille”. Une famille qui, la plupart du temps, est composée d’une trentaine de personnes.
Dans votre livre “La précarité pour tout bagage. Un autre regard sur les roms”*, paru cette année, vous précisez qu’une implication conjointe de certains élus et des associations est nécessaire pour l’intégration progressive des personnes roms. Comment expliquez-vous ce manque d’implication de la part des élus ?
N. C. : La question est : pourquoi les élus n’en veulent pas ? Parce que ces derniers sont persuadés que tous leurs électeurs sont dans les 64%1 à qui ça pose vraiment un problème qu’il y ait des Roms en France, et non pas dans les 36% que ça ne dérange pas. Les élus pensent que tous leurs concitoyens sont comme ça.
La nature religieuse de l’association est-elle un frein pour les prises de décision politiques ?
N. C. : Non, car dans tous les endroits où nous intervenons, nous le faisons avec d’autres associations. J’ai eu l’occasion de rencontrer des ministres dans l’un de mes postes précédents une fois à Paris. J’avais discuté par exemple avec Cécile Duflot qui a dit, selon moi, une absurdité : “ça serait bien quand même que l’Église qui a beaucoup de biens immobiliers donne l’accueil aux migrants et aux SDF”. Pas de chance. L’Église est l’une des institutions qui hébergent le plus de gens gratuitement, sans que cela coûte un sou à l’État ! Il y avait déjà un dispositif qui existait : “Hiver Solidaire” lancé par l’avant-dernier archevêque de Paris. Et donc, tous les hivers depuis 15 ans, les paroisses qui le veulent, entre 35 et 40%, accueillent de 3 à 7 ou 8 SDF. Un véritable accueil : nous dînons avec eux, nous dormons avec eux, nous prenons le petit-déjeuner ensemble. Cela pendant trois mois. Ensuite, nous essayons de les reloger. Tout cela ne coûte rien à l’État. Du temps de Cécile Duflot, alors Ministre du logement, et donc de la question du non-logement et de l’exclusion, nous avons pu lui montrer que nous avions déjà une centaine de SDF hébergés par l’Église. Un an ou deux après, l’État comptabilisait nos chiffres dans ceux de l’hébergement. Les politiques savent que nous leur rendons plutôt service, en permettant d’identifier des situations qu’ils ne savent pas toujours traiter. Nous ne sommes pas violents politiquement. Selon moi, les politiques ont plutôt intérêt à nous avoir en face plutôt que d’autres associations comme par exemple Le Droit au logement (Dal), qui ont une approche plus agressive.
1. Selon l’indice longitudinal de tolérance (ILT) de la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) qui mesure le taux d’acceptation des populations minoritaires en France de 2017.
*Paru aux Éditions Cerf en 2015
*Paru aux Éditions de l’Atelier en 2022