Manuel Valls : « La politique est aussi l’art de la pédagogie »
Après son départ de la mairie de Barcelone en juillet, Manuel Valls amorce un retour sur la scène médiatique en tant que consultant sur RMC et BFM TV. L’ancien Premier ministre de François Hollande entre 2014 et 2016 revient sur le poids de la communication politique dans l’exercice du pouvoir.
Propos recueillis par Julien Mazurier et Maud Pajtak
Au cours de votre parcours en politique vous avez eu beaucoup de postes de communicant. Obama a dit que son erreur avait été de commencer à gouverner une fois élu, au lieu de continuer à communiquer. Partagez-vous ce point de vue d’Obama qui disait que diriger, c’est avant tout communiquer ?
Manuel Valls : La communication est, en effet, très importante. Quand j’étais maire, j’étais toujours en campagne. Ça ne veut pas dire que mes décisions étaient prises uniquement en fonction de ce qui pouvait m’apporter des voix. Même si on essaie de gouverner en n’étant pas qu’impopulaire, parfois vous êtes obligés de prendre des décisions impopulaires. Parfois, vous voulez implanter un équipement sur un quartier, et vous considérez que l’opposition des habitants ne peut pas justifier la mise en cause de l’intérêt général. Au niveau du pays, vous êtes obligés de serrer les vis budgétaires, parce que vous n’avez pas le choix, parce que la dette et le déficit filent. Donc, il faut communiquer et d’autant plus aujourd’hui. Avant, il suffisait d’aller sur une ou deux chaînes, et vous touchiez tout le monde ! En février 1984, quand Jean-Marie Le Pen est invité dans l’Heure de Vérité, 14 millions de téléspectateurs l’écoutent. Le fameux débat Le Pen-Tapie : 10 millions en deuxième partie. Apostrophe, l’émission phare de Bernard Pivot touchait 10–12 millions de personnes. Aujourd’hui, l’émission de Zemmour fait un million de téléspectateurs et on considère que c’est un succès ! Quand je m’occupais de la communication de Lionel Jospin, comme nous étions en période de cohabitation, nous utilisions beaucoup l’Assemblée nationale et les questions au gouvernement pour communiquer. Quand j’étais Premier ministre également. Comme ce sont des formats courts, ils peuvent être facilement transposés sur les réseaux sociaux. La communication doit toujours avoir sa part de sincérité, d’authenticité, parce que même la manipulation doit être intelligente, s’il faut en faire. Les français décryptent très bien le jeu politique. Par exemple, les grandes campagnes du gouvernement où l’on met beaucoup d’argent, qui passent à la télévision, ce sont des campagnes « à la papa », avec des grosses agences de communication derrière. Je ne suis pas sûr que ça marche. Mais Obama a raison, il faut bien communiquer parce qu’il faut expliquer en permanence les décisions. La politique est aussi l’art de la pédagogie.
Pensez-vous que les réseaux sociaux facilitent la communication politique. Est-ce qu’ils permettent vraiment de rester en lien avec l’opinion publique ?
M. V. : Oui, je suis contre la critique permanente des réseaux sociaux. Ce sont des opportunités incroyables. Je suis allé chez Ruquier, sur Canal + ou sur RMC au tout début. J’étais l’un des premiers invités de Bourdin. Je suis aussi allé sur l’émission de Hanouna (1). Après, il faut être soi-même. Chez Hanouna, j’étais en costard, j’ai parlé sérieusement, nous avons rigolé mais je ne suis pas tombé au niveau du caniveau et eux-mêmes m’ont respecté. Ce qui m’intéresse chez Hanouna, c’est la possibilité de toucher des publics qui ne sont plus ailleurs. Le JT est regardé par des personnes de plus de 60 ans de catégorie socio-professionnelle supérieure, ce qui limite votre audience. Les jeunes regardent l’info sur leur smartphone, ils ne sont pas devant leur télévision à 20 heures. Il nous faut donc démultiplier les interventions pour toucher un plus large public.
Vous semblez avoir apprécié votre passage dans l’émission d’Hanouna.
M. V. : Hanouna le dit lui-même : « on rend les politiques sympathiques ». J’ai besoin, maintenant que je reviens dans l’espace public, que mon image change et soit mieux comprise. J’avais été marqué par ma participation au Petit Journal. J’avais fait une longue émission après les attentats du 13 novembre. Avec Yann Barthès, nous nous étions dit « il faut parler aux jeunes », pour permettre de comprendre l’ampleur des événements. Ce ne sont pas uniquement les discours truffés de valeurs républicaines qui vont convaincre. Ce qu’a fait le président en accordant un entretien à Brut était intéressant, quoi qu’un peu long. Parfois, le média qui vous interroge est tout aussi important que ce que vous dites. Le fait d’aller sur un média plutôt qu’un autre permet de débloquer une écoute différente auprès d’autres publics.
Aujourd’hui, vous êtes consultant pour BFM. Certains se demandent si c’est bien la place d’un ancien premier ministre. Est-ce que vous vous sentez plus libre qu’en tant que personnage politique ?
M. V. : Elle est où la place d’un ancien Premier ministre ? Sur une étagère [rires] ? Ce qu’il faut, c’est ne jamais se dégrader. Je suis plutôt connu pour ne pas être le plus rigolard de tous, et pour être parfois trop sérieux. J’ai accepté la proposition de BFM et de RMC : un quart d’heure avec Alain Duhamel, et un quart d’heure avec Apolline de Malherbe une fois par semaine. Ce qui n’est pas non plus énorme. Je n’ai pas envahi ces chaînes.
Mais vous communiquez dessus ?
M. V. : Revenir dans le débat m’intéresse. Je ne suis plus en activité, mais pendant 30 ans je me projetais en fonction du calendrier électoral. Là, pendant cette année de campagne présidentielle, je trouve que la posture de celui qui observe, commente et qui amène son expérience a beaucoup d’avantages. Mais je ne suis pas en surplomb de la société. Je parle comme un ancien Premier ministre. Mais bon, je peux quand même le faire avec mes convictions, avec mes tripes, en apportant mon expérience sans trop s’abîmer.
Vous voulez dire que RMC, BFM, TPMP…., c’est une stratégie ?
M. V. : Oui, il y a un peu de ça. BFM est plus institutionnel avec Alain Duhamel. Sur RMC, c’est intéressant, car il s’agit d’une radio populaire. La plupart de mes copains, et notamment ceux qui sont responsables politiques, ou même des journalistes, n’écoutent pas RMC le matin. C’est leur droit, mais il y a beaucoup de monde qui l’écoute. Et pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une radio populaire. Cela m’intéresse donc dans le rapport que j’essaie de renouer avec les Français.
Vous avez exercé de nombreux mandats, certains dans la proximité, d’autres plus éloignés des français. Quel est selon vous celui dans lequel vous avez été le plus utile ?
M.V. : Quand vous êtes maire, vous voyez tout de suite les effets des choix que vous faites. Vous décidez que la ville doit être propre. Cela met quelques semaines, en mettant plus de moyens. Vous décidez que la ville doit être plus sûre, ça met quelques mois. Le rapport avec les gens est direct. Il ne passe même pas par le filtre des médias ou des réseaux sociaux. J’ai vu que maintenant on disait « à portée de baffe », je trouve ça assez triste … Quand j’étais ministre de l’Intérieur, j’essayais d’être toujours un peu maire. Dès qu’il y avait un événement, je voulais être présent auprès des gendarmes, des pompiers, du corps préfectoral, des gens. En revanche, quand vous êtes dans l’exercice du pouvoir, vous êtes plus éloigné. Vous ne pouvez pas voir 67 millions de français en permanence même si eux vous voient. Et vous les fatiguez, parce que votre bobine est en permanence à la télévision. Pour ma part, j’adorais aller dans les territoires, je faisais plusieurs déplacements par semaine pour maintenir l’illusion de ce rapport direct avec les français.
En 2019, dans les colonnes de l’Obs vous parliez des limites de la fonction de Premier ministre. Vous disiez « ne plus vouloir être un hamster qui tourne dans sa roue ». Est-ce que ça veut dire qu’à ce niveau de responsabilités, on n’est pas libre de son action ?
M. V. : Bien sûr, vous avez des contraintes. Vous êtes dépendant d’un président de la République. Il a été élu pour ça. Il a la légitimité. Vous êtes obligé de trouver des points de compromis, avec les ministres et avec la majorité, voire le Parlement. Parfois, vous ne pouvez pas défendre toutes vos idées jusqu’au bout. Quand vous n’avez plus la majorité, vous êtes obligé d’utiliser le 49.3, ce qui durcit votre image. Vous passez de l’autorité naturelle à l’autoritarisme qu’on vous colle comme étiquette. Quand vous êtes ministre, vous êtes en prise réelle. Le Premier ministre, lui, est primus inter pares. Il doit en permanence coordonner l’action du gouvernement sans visibilité directe sur les cabinets ou l’administration des ministères. N’y voyez aucune prétention, j’étais un Premier ministre fort, mais en définitive, vous restez dans un poste qui est une salle des machines.
Vous avez exercé des responsabilités politiques pendant 22 ans. Est-ce que pour vous, la politique est un vrai métier ?
M. V. : Oui, c’est un métier. Évidemment, nous avons besoin de professionnels. Gérer un pays, connaître les contraintes d’une ville, d’une région, de l’État… reste une question professionnelle. Cela peut s’apprendre à l’ENA et à Sciences Po, mais pas seulement. Je n’ai fait ni l’ENA ni Sciences Po, tout cela s’apprend beaucoup sur le tas, et il faut de l’expérience.
Faire carrière en politique est donc souhaitable en démocratie ?
M. V. : Oui, mais attention à la nostalgie. Je suis venu à la politique dans un monde où il y avait l’union soviétique et le camp démocrate, européen et américain. C’était un monde où nous avions l’impression que ce qui se jouait dans notre pays était essentiel. Et puis, il y avait des partis forts. Tout cela a changé. Il n’y aura peut-être plus de carrière politique comme la mienne. Mais on ne peut pas gouverner sans expérience, sans mémoire, ou sans culture. C’est ce qui fonde notre civilisation. L’expérience politique ne prévient pas de tout, loin de là, mais je crois qu’elle est nécessaire. Joe Biden est d’ailleurs pour moi un espoir permanent, j’ai encore au moins 25 ans de politique devant moi ! [rires]
(1) « Touche pas à mon poste », 25/09/2021, C8
(2) « Le Petit Journal », 24/11/2015, Canal +