Lucile Schmid : « L’écologie est à l’évidence politique »
Ancienne élue des Verts, Lucile Schmid est la cofondatrice de la Fabrique écologique, un think tank transpartisan créé en 2013. Auteure de plusieurs articles sur la question des responsabilités humaines dans le dérèglement climatique, cette énarque de formation évoque une approche pragmatique de l’écologie, dont elle affirme sans hésitation son lien étroit avec la politique.
Propos recueillis par Arnaud Connen de Kerillis et Aude Cazorla
En 2013, vous affirmiez déjà l’éminence du lien entre politique et écologie, dans un ouvrage co-écrit intitulé L’écologie est politique*. L’écologie est-elle forcément politique selon vous ?
Lucile Schmid : L’écologie nous pousse à changer la hiérarchie de nos préoccupations. Dans notre pensée politique, nous avons tendance à tourner le dos à la nature. L’écologie nous oblige à raisonner différemment sur le plan économique, philosophique ou social. Elle nous force à penser sur le long terme à la solidarité intergénérationnelle. Nous devons repenser les sociétés humaines, et tenir compte de la manière dont l’activité humaine influe sur la planète. Il faut alors se poser la question de la responsabilité, qui est évidemment politique.
Vous avez longtemps été investie en politique. D’abord au PS, avant de rejoindre Europe Ecologie et de participer à la construction d’EELV. Aujourd’hui, vous vous êtes retirée de ces missions, et vous vous investissez davantage dans votre think tank. Quel est le sens de votre passage d’une lutte politique à une lutte plus sociale ?
L. S. : J’ai compris une chose : installer le pouvoir des idées lorsqu’il a un lien organique avec un parti est très compliqué. Pour cette raison, je me suis éloignée de la politique. Aujourd’hui, l’ensemble des partis politiques est en crise. Les partis d’origine cherchent à retrouver leur intensité. Mais pour politiser certains sujets il faut sortir de la forme partidaire. Dans notre ouvrage L’écologie est politique, nous avons voulu expliquer que l’écologie est politique, mais non partisane. Je ne suis plus dans aucun parti mais j’ai des convictions politiques très fortes, sociales et écologistes.
Le 6 août 2021, le GIEC a publié la première partie de son sixième rapport. Selon ce dernier, la température de la planète devrait augmenter de 1,5°C dès 2030. Où se situent les responsabilités de l’échec des politiques environnementales qui se sont succédé ?
L. S. : La responsabilité est aux institutions politiques qui n’ont pas joué leur rôle. Aujourd’hui, 90 entreprises représentent deux tiers des émissions de gaz à effet de serre depuis la première révolution industrielle, et 15% des gaz à effet de serre sont produits par l’agriculture industrielle. Mais les gouvernements sont les premiers responsables. En 2015, l’Accord de Paris avait fixé un scénario de réchauffement planétaire compris entre 1,5 et 2 degrés d’ici 2030. Les gouvernements ont adopté un accord universel, mais ils n’ont pas réussi à le retranscrire concrètement dans leur pays auprès des opinions publiques. Il y a un défaut de régulation, et un défaut de réflexion sur comment mener cette régulation sans créer de nouvelles inégalités. Ce ne sont pas les entreprises qui vont s’intéresser à cela. C’est aux gouvernements de réfléchir à un projet de société à l’échelle nationale et mondiale. Cela implique de réfléchir à la régulation et aux compensations sociales de nouvelles inégalités qui pourraient naître de cette mise en œuvre de politique publiques. Je ne crois pas en un homme providentiel. Je ne pense pas que l’élection présidentielle permette d’adopter une feuille de route en matière d’écologie en France. Ce sont les institutions qui sont responsables. La priorité pour les citoyens est de mettre la pression sur les institutions.
Vous affirmez que l’écologie politique se construit en accord avec la question de la justice sociale. Pourtant, lors de l’élection présidentielle 2017, nous avons eu l’impression que les questions écologiques étaient éloignées des questions sociales. En quoi ce terme de « justice sociale » est-il essentiel selon vous ?
L. S. : Aujourd’hui, dans les propositions embryonnaires des candidats à la présidentielle, il n’y a pas de réelle déclaration de principe pour associer les questions sociales et écologiques. Il existe pourtant des sujets importants qui nécessitent d’articuler social et écologie. Je pense en premier lieu à l’alimentation. Comment faire aujourd’hui pour rendre le bio accessible ? Il n’est pas normal d’acheter des produits de l’agriculture conventionnelle moins cher que le bio. Le sujet du logement s’impose aussi. La rénovation thermique des passoires énergétiques doit être menée de façon plus raisonnée. Notamment en simplifiant l’accès aux aides. Aujourd’hui, le débat est articulé autour des propriétaires mais plus vous êtes pauvre, moins vous êtes propriétaire de votre logement et plus vous habitez une passoire thermique en payant un loyer trop cher.
En matière d’écologie, nous ne pouvons pas tous agir à la même échelle. Est-ce que l’Etat et les entreprises ne sont pas davantage aptes à prendre des décisions majeures ?
L. S. : Comme citoyen, consommateur, acteur, nous ne sommes pas les seuls à pouvoir faire des éco gestes. L’idée de la citoyenneté active est attachée à l’écologie. Mais un citoyen n’est pas responsable de la même manière que le PDG de Total. Pourtant, chacun doit sortir de sa zone de confort si l’on veut faire avancer les choses en matière d’écologie. Il y a du découragement lié à ce qui nous menace. Le sujet de l’exemplarité de ceux qui ont du pouvoir est donc primordial. Sur la question des savoirs et des formations, nous devons aussi changer les choses. Aujourd’hui, les questions écologiques prennent beaucoup plus de place dans la société. L’information écologique a explosé récemment. Nous devons lier démocratie et écologie. Cela passe par une meilleure information, une presse et des médias, mieux armés pour répondre à ces problématiques. Dans les médias, l’angle que l’on choisit de privilégier est essentiel. On doit privilégier un angle articulé économie-écologie, ou encore, social-écologie.
Vous avez évoqué à plusieurs reprises le terme de sobriété énergétique. Qu’entendez-vous par là ? A qui incombe la responsabilité de mettre en place cette sobriété énergétique ?
L. S. : La sobriété énergétique correspond au fait de prendre le temps de savoir à quoi sert l’énergie. Très souvent, les personnes auxquelles on parle, confondent électricité et énergie. L’électricité représente 25% de la consommation énergétique de la France. 75% de notre consommation énergétique totale provient des énergies fossiles. A partir de cette culture générale énergétique, chacun peut s’interroger sur sa consommation énergétique et comprendre le consommateur d’énergie qu’il est. La sobriété, c’est l’idée de s’habituer à considérer comme un bien rare quelque chose qui nous est donné abondamment.
Vous évoquez souvent l’aspect « intergénérationnel » des problématiques écologiques. Pensez-vous que la question de la responsabilité du changement climatique doit s’envisager au travers de son impact sur les générations futures ?
L. S. : L’aspect générationnel est similaire à la « responsabilité commune mais différenciée » présentée lors des hauts sommets sur le climat. Quand on affirme la « responsabilité commune mais différenciée », on acte la responsabilité historique des pays du Nord vis-à-vis des pays du Sud. Les jeunes peuvent aussi dire qu’il y a une responsabilité commune mais différenciée de l’écologie. Historiquement, les personnes de ma génération n’ont pas voulu entendre collectivement les alertes qui existent depuis les années 1970. Du côté des organisations de jeunesse, le point important consiste à trouver des alliances et à ne pas se contenter d’interpeller ou de marquer une déception. Il est important de ne pas considérer cet aspect générationnel comme une sorte de revendication de la jeune génération à l’égard de la plus vieille, mais plutôt de voir comment nous pouvons trouver des alliances avec des gens qui connaissent le système de l’intérieur et d’autres qui font pression sur ce système de l’extérieur.
L’État a été condamné pour inaction climatique causée par le non-respect de ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le procès de « L’Affaire du siècle ». Une première dans l’histoire. Face aux entreprises, aux citoyens et à l’État, quel est le pouvoir de la justice dans l’écologie ?
L. S. : Il s’agit d’un sujet nouveau, mais aussi d’une sorte d’impasse institutionnelle. Attaquer l’État est une bonne idée mais les juges du conseil d’État ne connaissent pas le détail des politiques publiques. On voit là toute la limite de faire de l’écologie seulement par le droit. L’écologie est complexe. Elle associe les sciences, le droit, l’économie, l’engagement citoyen, la sociologie des élites… Évitons de faire seulement de l’écologie par le droit, mais utilisons le droit si cela permet une impulsion pour modifier les politiques publiques.
Aujourd’hui, nous parlons beaucoup de responsabilité, de répression… Mais les questions écologiques vont -elles réellement se régler par le fait de trouver un responsable ?
L. S. : Il ne s’agit pas uniquement d’une question de morale. Ce qui m’intéresse, ce sont les dimensions de solidarité, de projet collectif, et surtout, la dimension démocratie et écologie. Comment l’écologie peut nous aider à ressusciter un élan démocratique, affaibli à l’heure actuelle ? Grâce à l’écologie, j’ai retrouvé une envie d’apprendre, une envie d’avoir une culture scientifique que je n’aurai pas eue, si ce n’était pas devenu quelque chose d’important dans ma vie. Il faut retrouver la vitalité, mais pas la culpabilité.
* L’écologie est politique. Par Catherine Larrère, Lucile Schmid et Olivier Fressard. Edition Les Petits Matins.