Gilles Vanderpooten : « Le journalisme de solutions donne envie d’agir »
Journaliste, directeur général de l’ONG Reporters d’Espoirs et écrivain, Gilles Vanderpooten promeut une méthode complémentaire au journalisme : le journalisme de solutions. Il se pose également une autre question : quelles sont les initiatives citoyennes pour répondre aux problématiques de l’actualité ? Pour lui, une autre façon d’informer renforcerait le lien social entre médias et citoyen·nes et pousserait à l’action. Explications.
Propos recueillis par Kimberley Dusznyj et Louis Emeriau
Vous êtes entrepreneur social, journaliste, directeur général d’ONG, et vous avez été militant. Est-il réellement possible de faire cohabiter toutes ces identités ?
Gilles Vanderpooten : Depuis que je fais du journalisme, j’essaye de ne plus être militant Le militantisme, c’était pour la mise en lumière des enjeux environnementaux quand j’étais étudiant, il y a plus de 15 ans. Mon engagement n’a jamais été très radical. J’avais conscience des dégâts climatiques et environnementaux, mais sans être aussi engagé que les jeunes aujourd’hui. Pour ce qui me concerne, le journalisme de solutions que l’ONG promeut est une méthode qui se veut universelle, une question supplémentaire. Quelles sont les politiques publiques, les hommes, les femmes qui tentent de trouver des solutions ? Mais ce n’est pas du journalisme engagé. Il s’empare des initiatives avec le même recul. Il dénonce ce qui ne fonctionne pas et s’intéresse aux réussites et aux limites. Avec la direction de l’ONG, je fais beaucoup de gestion, de formations et peu de journalisme. J’ai plusieurs métiers en un et plusieurs identités en une.
Vous avez écrit un livre avec Stéphane Hessel : Engagez-vous (1) un véritable best-seller. Quelles expériences et rencontres vous ont le plus motivé à défendre cette vision du journalisme et de l’engagement ?
G. V. : A l’époque, quand je réalisais cette série d’entretiens (avec Guy Bedos, Frédéric Mitterrand ndlr), j’étais reporter citoyen. Cela m’intéressait d’interroger des sages qui, sur des périodes difficiles, avaient réussi à faire preuve de résilience et à s’en sortir. Stéphane Hessel est apparu par hasard. Je le voyais souvent à la télévision, et je me suis dit que j’aimerais l’interviewer pour mener un dialogue entre deux générations que 70 ans séparent. Notre livre d’échanges, Engagez-vous, est devenu une réponse à son essai Indignez-vous (2). Stéphane Hessel avait connu la guerre, la déportation, et il abordait toujours la vie avec optimisme. Comment la jeunesse, terrifiée par l’avenir et le dérèglement climatique, pourrait-elle l’imiter ? J’ai pris conscience de la force démultiplicatrice des médias. J’ai voulu valoriser mon propre engagement en fusionnant ma vie professionnelle et mon engagement associatif. J’ai lié le journalisme au développement durable et je suis entré à Reporter d’Espoirs.
Quels sont les critère du journalisme de solutions ?
G. V. : J’ai essayé de définir le journalisme de solutions dans Imaginer le monde de demain (3) en analysant des reportages et des cas d’étude. J’ai voulu confronter cette méthode avec différente zones géographiques : Danemark, Espagne, États-Unis. Il n’y a pas de définition universelle. J’imagine que nous avons voulu combler un manque. Celui du déficit de sujets qui font avancer les choses. Certains appellent cette méthode le journalisme constructif. Je crois qu’il s’agit surtout du journalisme tout court. Nous respectons la déontologie. Nous nous posons les cinq questions fondamentales : Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Et nous y ajoutons une question. Qu’est-ce que nous faisons maintenant ? Existe -t-il des gens qui tentent de résoudre ce problème ? En abordant les limites des alternatives, nous évitons de tomber dans la communication. Plus nous ferons du journalisme constructif, plus nous proposerons des choix, plus nous ferons avancer l’action. Lorsque nous médiatisons de pareils sujets, nous participons aussi à la mise en place d’un mouvement d’actions utiles à tout.es
Dans votre livre, Imaginer le monde de demain, le rôle positif des médias, vous précisez que pour le public et les journalistes de guerre, il est nécessaire de couvrir la reconstruction d’un pays. Avec les contraintes économiques qui touchent les médias, comment pousser les rédactions à agir dans ce sens ?
G. V. : Le journalisme de solutions coûte globalement plus cher. Mais il n’est pas toujours plus long. Je vais vous donner deux exemples. Delphine Minoui, grande reporter au Figaro me disait qu’elle essayait toujours, au-delà de la couverture du conflit, de se demander comment les gens résistent et se protègent. Dans son ouvrage Les passeurs de livres de Daraya (4) , elle s’est intéressée aux jeunes qui résistaient sous les assauts des bombes en Syrie. Ils allaient débusquer les livres sous les décombres. En construisant une bibliothèque, ils ont appris à exister de nouveau grâce à la littérature. C’est aussi ce qu’une journaliste danoise me précisait : « C’est le jour où j’ai commencé à poser des questions différentes que j’ai eu des réponses différentes ». Les reportages sont souvent dans l’analyse et le décryptage. Mais nous pouvons aussi aborder d’autres sujets.
En septembre dernier, vous faites paraître votre premier magazine semestriel Reporter d’Espoirs. Vous avez aussi récompensé Solenn Codroc’h pour son reportage sur les femmes volées au Kirghizistan (5) du prix de l’ONG. Pour quelles raisons voulez-vous offrir de nouvelles alternatives et de nouveaux chemins de pensée, portés vers l’action ?
G. V. : France télévision avait réalisé une enquête sur 150 000 Français : 82% d’entre eux désiraient un journalisme moins anxiogène. La revue voulait mettre à l’honneur les médias et les journalistes qui sont dans cette démarche sans le savoir. Notre vocation est de la montrer et de nourrir la profession avec une agrégation de reportages déjà parus dans la presse qui donnent l’envie d’agir. Il s’agit d’entraîner les autres journalistes dans le mouvement, avec ce qui se fait de mieux !
Nous confondons souvent journalisme de solutions et journalisme positif, journalisme de bonnes nouvelles… Pouvez-vous expliquer pourquoi ces concepts n’ont rien à voir ?
G. V. : Ce n’est pas parce que nous allons chercher à couvrir des initiatives qui apportent des réponses à des problèmes que nous sommes positifs. Nous devons rester le plus neutre possible, critiquer ces alternatives et pointer leurs limites. Je ne suis pas contre le positivisme, mais ne faire que cela, ce serait se contenter de petits signaux qui nous feraient penser que tout va bien. Le Media Positif (6) sur Twitter donne du baume au cœur, mais il renvoie à de l’anecdotique. Le journalisme de solutions est doté d’une méthode. Les professionnels ont travaillé pendant près de vingt ans dessus pour transmettre une autre démarche qui apporterait une valeur ajoutée à l’actualité. Le distinguer du positivisme est inscrit dans sa méthode et dans sa raison d’être. Et, c’est pour toutes ces raisons, que nous appelons cela du journalisme !
Comment former les nouvelles génération de journalistes aux problématiques de solution ?
G. V. : Je suis juge et parti ! L’idéal serait d’en faire un parcours en soi ou de le proposer comme un enseignement transversal dans les écoles de journalisme. Il faudrait donner des cours de presse dans les collèges et dans les lycées. L’information devrait éclairer les jeunes et les aider à se projeter dans le monde de demain. Leur prouver que le rôle du journalisme, n’est pas uniquement de décrire les problèmes du monde, mais aussi de les aider à imaginer l’avenir plus sereinement. Pour éviter, par exemple, que les jeunes sombrent dans l’éco-anxiété. Dans mes cours d’éducation aux médias et à l’information (EMI) que je donne dans les collèges et les lycées, je me retrouve purement et simplement à promouvoir le journalisme comme la meilleure source qui soit pour comprendre le monde.
Dans votre livre, Imaginer le monde de demain le rôle positif des médias, vous expliquez que les citoyens et citoyennes attendent une alternative au journalisme actuel. Le manque de diversité de profils dans le journalisme conduit-il à l’uniformité de l’information ?
G. V. : Les rédactions manquent-elles de profils variés ? Ce qui expliquerait que nous sommes exposés à une information trop uniforme ? Je ne crois pas. En réalité nous disposons aujourd’hui d’une diversité informationnelle absolument incroyable. Entre L’Humanité et Le Figaro, il y a un monde. L’offre est pléthorique. Il faudrait pousser les gensà lire des choses différentes. Les journalistes doivent se concentrer sur l’information et sur l’EMI, pour pousser les citoyens à comprendre la différence entre un éditorialiste et un journaliste véritable. Il faut trouver de nouvelles manières d’expliquer le journalisme pour tenter de séduire toutes les générations et recréer le lien social si précieux à la démocratie.
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1. Hessel, Stéphane, et Gilles Vanderpooten. Engagez-vous! Editions de l’Aube, 2011.
2. Hessel, Stéphane. Indignez-vous ! Indigène éd, 2010.
3. Vanderpooten, Gilles. Imaginer le monde de demain: le rôle positif des médias. Actes sud, 2020.
4. Minoui, Delphine. Les Passeurs de livres de Daraya : une bibliothèque secrète en Syrie. Éditions du Seuil, 2017.
5. Cordroc’h Solenn, Haro sur les mariées volées, So Good, 15–04–2022
6. https://lemediapositif.com et @LMPositif sur Twitter