Côme Girschig : “J’ai des envies politiques mais je retarde mon entrée dans le milieu”
Propos recueillis par Damian Cornette et Patti Delaspre
Conférencier écologiste, Côme Girschig se produit sur scène et en entreprise pour traiter la crise climatique sous différents prismes. Il a participé à la Convention citoyenne pour le climat et au Sommet Climat des Nations unies. En septembre 2020, il poursuit l’État en justice pour contrer le déploiement des antennes 5G. Ingénieur en mathématiques, il s’est ensuite tourné vers l’écologie. Ce jeune écologiste de 28 ans ambitionne de porter son engagement en politique.
Pourquoi avez-vous accepté de participer cette année aux Tribunes de la presse sur le thème des passions ?
Côme Girschig : J’ai la chance d’avoir trouvé une passion pour un mouvement, qui s’appelle le mouvement écologiste. Elle a donné du sens à tous les aspects de ma vie professionnelle, personnelle et même spirituelle. C’est quelque chose qui m’a comblé à tous les points de vue. Donc pour moi, venir la partager aux Tribunes de la presse est important. Beaucoup de jeunes y sont présents, j’ai envie de transmettre ma passion et de montrer son aspect positif.
Qu’est-ce qui vous anime personnellement autour de cette question de l’écologie?
C. G. : Le côté multidisciplinaire. J’adore l’idée qu’un problème de l’humanité demande autant de disciplines différentes. Sur l’écologie, vous pouvez mettre autour de la table des cuisiniers, des juristes, des artistes, des comptables, des chefs d’entreprise, des politiques, des danseurs et tout le monde sera compétent. Ce n’est pas du tout l’éco-anxiété qui m’a amené vers l’écologie mais avant tout un intérêt intellectuel. L’idée de me dire où que j’aille, peu importe les personnes que je rencontre dans le métro, dans le train, à l’autre bout du monde, il y aura toujours un terrain de discussion.
Comment s’est construit cet engagement ?
C. G. : J’ai eu un réel déclic à la COP 21 en 2015 à Paris. J’ai consommé beaucoup d’informations sur les négociations climat. Tout le monde en parlait, je me suis documenté et j’ai compris qu’il y avait véritablement une bombe à retardement.
L’écologie n’est-elle pas une passion un peu facile à l’heure actuelle ?
C. G. : Au premier abord, oui, parce que cela devient très mainstream. Actuellement, on en parle de plus en plus et ce n’était pas du tout le cas dans les années 70–80. À cette époque, être écologiste c’était très mal vu. Les militants étaient considérés comme des hippies ou des marginaux. Aujourd’hui, c’est une cause qui est plus facile, en tout cas au départ. Après, je peux vous garantir que ce n’est pas toujours facile du tout. Quand j’interviens devant un parterre de 300 personnes qui travaillent dans des entreprises de nouvelles technologies, ce n’est pas forcément aisé de tenir un discours écolo devant ces gens-là. Mon objectif est d’arriver à les convaincre en comprenant comment ils fonctionnent. Il faut rentrer dans leur monde, leur sémantique, leur rationnel et ensuite adapter le discours écolo fondamental pour qu’ils l’acceptent. Cela demande beaucoup de travail, de réflexion et une certaine forme d’intelligence.
Est-ce aussi une passion qui permet de se mettre sur le devant de la scène ?
C. G. : Bien sûr, il y a beaucoup d’ego et de narcissisme dans les milieux écolos. Il y a besoin d’avoir une forme d’exposition médiatique quand on est écolo pour porter le combat. Il y a un côté célébration personnelle qui est peut-être un peu péjoratif, notamment quand des figures individuelles se démarquent. En fait, cela est problématique parce que c’est très écrasant pour le reste du mouvement. Mais la médiatisation est utile, elle est inévitable pour obtenir des résultats. Et bien sûr, il y a toujours un côté excitant à passer dans les médias, c’est évident !
Vous vous êtes engagé dans les institutions françaises, lors de la Convention citoyenne pour le climat et dans les institutions internationales au Sommet climat des Nations unies, est-ce là que l’on peut résoudre la crise climatique ?
C. G. : Je pense que dans les institutions internationales, le job est fait. Ce n’est plus le temps de le faire. Maintenant je crois aussi que l’énergie activiste militante au sein des institutions doit être faite à deux niveaux, à l’échelle européenne et aux échelons nationaux et locaux. Pour l’instant, on constate un manque au niveau local, mais c’est peut-être parce que c’est moins médiatisé. Au niveau européen, cela plus efficace et encore c’est loin, très loin, d’être suffisant.
Avez-vous des envies politiques ?
C. G. : J’ai des envies politiques mais je retarde mon entrée dans le milieu au maximum. En France, il y a une culture politique effrayante. Dès que vous dites que vous êtes politique, cela vous décrédibilise beaucoup. Vous n’êtes plus écouté. Aujourd’hui, j’interviens dans beaucoup d’entreprises et dans beaucoup d’institutions. Et ce, parce que je suis neutre. J’ai une parole qui est fondamentalement écologique, de gauche, c’est une évidence absolue. Mais si j’étais encarté dans un parti ou si j’étais élu, je n’aurais plus du tout une parole aussi libre. Je teste aussi mon discours dans plein d’endroits différents. Je le construis en le testant sur différents publics.
Dans vos conférences, vous explorez l’écologie et la transition écologique dans son ensemble et sous différents prismes. Quels sont vos objectifs ?
C. G. : J’ai envie de provoquer des déclics, de provoquer de la peur. Mes conférences sont toujours construites en deux ou trois parties. La première partie fait le diagnostic. L’idée est de donner une grande claque en montrant des chiffres que le public, sans doute, connaît déjà, de les rappeler et de montrer à quel point le problème est complexe. On s’acharne sur le climat mais c’est complètement con, parce que souvent on en oublie les autres problématiques liées au dérèglement climatique. Ce que je fais de plus ? C’est provoquer de l’enthousiasme et du désir. J’aime montrer des exemples qui marchent. Je le fais beaucoup en entreprise. Quand j’arrive dans des boîtes et que je leur explique que leurs concurrents font mieux qu’eux, qu’ils sont déjà dans une stratégie de bifurcation, j’essaie de jouer sur leur esprit de compétition pour les faire bouger plus vite. J’essaie de coupler ces deux choses qui vont rarement ensemble, en particulier chez les jeunes activistes : le radical et le positif. Cette association marche assez bien dans les entreprises parce qu’elles aiment ces idées d’innovation, de bifurcation. Il y a un côté un peu hors-sol dans les entreprises. Donc, j’essaie de trouver la ligne de crête.
Vous intervenez dans plusieurs domaines. Êtes-vous expert en tout ?
C. G. : Je constate dans le diagnostic que je fais de la crise écologique, qu’une grande partie des maux, des impasses dans lesquelles on se trouve, proviennent précisément d’une logique d’expertise. C’est-à-dire que vous avez des experts absolus de la voiture, de l’informatique. À la fin, cela crée la misère dans laquelle nous sommes. Ces experts optimisent des systèmes dans un monde qui n’est pas le monde réel, mais le petit écosystème à eux. Pour ma part, je m’efforce délibérément, non pas d’avoir une expertise mais de creuser le maximum dans tous les secteurs auxquels je m’adresse. C’est peut-être pour cela que je suis invité dans des entreprises. Elles aiment avoir un regard transversal.
Dans votre nouvelle conférence vous êtes accompagné d’une violoniste. Pourquoi ce choix de se produire en musique ?
C. G. : Déjà, parce que cela me fait plaisir, et qu’il n’y a pas de mal à cela. Je pense qu’on a besoin de toucher différentes cordes. Le rationnel, c’est très bien, cela touche un certain public, un public d’hommes plutôt ingénieurs et scientifiques. Mais tout le reste de la population est plus sensible à d’autres vecteurs de messages. La musique classique, pour toucher l’élite est un choix délibéré. J’essaie de jouer sur les référentiels des personnes auxquelles j’ai envie de m’adresser. La musique classique reste une musique élitiste, beaucoup plus écoutée dans les milieux dirigeants. J’utilise ce référentiel commun positif pour amener des sujets qui fâchent.