Bernard Guetta : « L’équilibre du monde se joue entre les États-Unis, l’Union Européenne et la Chine »

Les ITVs de l'IJBA
6 min readDec 14, 2020

Propos recueillis par Nicolas Azam et Anaëlle Larue

Dans la confrontation entre les États-Unis et la Chine, où doit se placer lEurope ? Bernard Guetta, député européen Renaissance et Président dHonneur des Tribunes de la Presse, insiste sur la nécessité pour lEurope de se doter dune politique de Défense commune.

Pourquoi débattre des relations entre les États-Unis, la Chine et l’Union Européenne aux Tribunes de la presse cette année ?

Bernard Guetta : Il y a dans ce siècle trois puissances qui comptent. Les États-Unis, première puissance économique et militaire du monde. L’Union Européenne, deuxième puissance économique du monde. Et la Chine, une puissance économique qui aspire à devenir une puissance politique et militaire et qui l’est déjà largement devenue. L’équilibre du monde se joue entre ces trois puissances.

Dans cet équilibre du monde, lUnion Européenne peut-elle être un pivot entre les États-Unis et la Chine ?

B. G : L’Union Européenne et les États-Unis devraient faire front dans les décennies à venir contre les conceptions politiques de la Chine, contre l’idée selon laquelle un régime de parti unique ne respectant aucune des libertés fondamentales, ne respectant pas les Droits de l’homme, serait préférable aux démocraties. En ce sens, l’Union européenne et les États-Unis devraient, je le crois, faire front. Non pas pour défaire la Chine, mais pour gagner cette bataille idéologique, pour amener la Chine à un comportement politique et militaire plus respectueux du droit international et de la liberté des peuples. Enfin, pour constituer un pôle d’attraction en faveur de la démocratie dans le monde. La démocratie doit être forte pour rallier le plus grand nombre possible de pays, de sociétés, de nations.

Dans un article des Échos, Denis Simmoneau parle de « relations transatlantique dégradées depuis l‘intervention de Bush en Irak ». Que pensez-vous de cette analyse ?

B. G. : Je ne dirais pas une dégradation, mais un éloignement des États-Unis du théâtre européen et du théâtre proche-oriental. Les États-Unis n’ont plus d’intérêts aussi primordiaux à défendre que ceux vis-à-vis de la Chine. Il est tout à fait exact que les liens transatlantiques se sont distendus depuis une quinzaine d’années. Ils ne vont pas se resserrer avec monsieur Biden, car il s’agit d’une tendance lourde. En revanche, Joe Biden aura à cœur de redonner une chaleur, une confiance plus élevée entre les deux rives de l’Atlantique. Il faut s’en réjouir, mais il ne faut pas que nous, Européens, nous nous fassions d’illusions sur la permanence, la pérennité du parapluie militaire américain. Seule une Union européenne dotée d’une Défense crédible pourra devenir un allié des États-Unis, un allié sur un pied d’égalité.

Avec la politique du Make América Great Again”, Donald Trump a voulu mettre fin au rôle de gendarme du monde. N’était-ce pas une opportunité pour lUnion Européenne de saffirmer sur la scène internationale ?

B. G. : Ce n’est pas le président Trump qui a amorcé ce mouvement. Il a été amorcé très clairement sous le second mandat de George Bush, lorsque les troupes russes sont entrées en Géorgie et que les États-Unis n’ont pas bougé, même verbalement. Le premier emploi massif d’armes chimiques par le régime syrien n’a pas été sanctionné, Barack Obama ayant finalement refusé, faisant volte-face, qu’il y ait une intervention contre les forces armées de Bachar Al-Assad, alors qu’elle était préparée par les États-Unis et la France. Il a confirmé, ce faisant , la volonté des États-Unis de renoncer au rôle de gendarme qu’ils assumaient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ajoutez à cela la brutalité, la grossièreté et la vulgarité de Monsieur Trump… Mais sur le fond, il n’y avait pas de réel changement et il n’y aura pas de réel changement sous M. Biden. Oui, c’est l’occasion pour l’Union Européenne de comprendre que nécessité fait loi. Il faut maintenant dépasser les débats quasi “religieux” sur un point : est ce que nous devons, nous Européens, nous doter ou non d’une Défense commune, parce les faits nous y obligent. Cela ne peut plus être un tabou, puisque c’est une nécessité.

Comment lUnion Européenne peut-elle devenir une puissance indépendante face aux États-Unis et à la Chine ?

B. G. : L’Union Européenne doit devenir une puissance militairement crédible et ne doit plus dépendre des États-Unis pour sa Défense. Elle doit s’affirmer en développant une politique étrangère commune. On peut déjà voir les prémices de cette politique et elles sont non négligeables. Nous devons définir ensemble les menaces, les défis et les dangers qui rassemblent les 27. A partir de là, nous pourrons réfléchir à ce qui est le mieux pour l’Europe.

L’engagement européen pour l’environnement peut-il être un fer de lance pour l’Union Européenne face aux États-Unis et à la Chine ?

B. G. : Oui. Le réchauffement climatique et la protection de l’environnement sont des sujets qui concernent tous les pays. La volonté de Joe Biden de rejoindre les Accords de Paris est bienvenue. Le régime chinois a pris conscience du danger que représente la lutte contre la dégradation de l’environnement. Le fait que l’air soit si irrespirable dans tant de villes chinoises, y compris Pékin, peut susciter des troubles politiques. Cette prise de conscience du régime chinois montre qu’il y a là un terrain de convergence possible entre nos trois puissances. Sur ce terrain environnemental, l’Union Européenne est à l’avant-garde.

Lors de la première visite du ministre des Affaires étrangères chinois en Europe depuis le début de la pandémie du coronavirus, ce dernier a reproché aux États-Unis de vouloir entraîner l’Europe dans une forme de guerre froide contre la Chine. Cela est-il vrai selon vous ?

B. G. : La Chine s’inquiète de la possibilité d’un rapprochement entre les deux rives de l’Atlantique. En effet, une entente entre Européens et Américains traduirait la mise en place d’une attitude commune vis-à-vis de la Chine. La pandémie a joué un rôle important, mais pas essentiel. La Chine par son attitude économique et politique inquiète la plupart des autres pays du monde. Le régime chinois, en tout cas, a pris le risque très inconsidéré de créer une situation dans laquelle il y a la Chine contre le reste du monde. C’est une situation malsaine pour elle.

La récente élection de Joe Biden ne laisse-t-elle pas entrevoir un retour de deux blocs distincts, les États-Unis et l’Europe contre la Chine et la Russie ?

B. G. : Le scénario d’un bloc commun entre la Russie et la Chine n’est pas joué, loin de là. Si les Russes décidaient de s’allier à de Xi Jinping, ce serait une alliance entre l’éléphant et la souris. Or, l’alliance entre l’éléphant chinois et la souris russe, nul besoin d’être prophète pour imaginer son évolution… Ce serait une vassalisation de la Russie par la Chine. Pour autant, les Russes ne sont pas des gens stupides, loin de là, et ils sont parfaitement à même de percevoir ce danger. Qu’ils agitent cette possibilité pour essayer d’inquiéter les États-Unis et de l’Union européenne ? Oui, bien sûr. Mais qu’ils aillent plus loin que cela j’en doute.

Pensez-vous que l’Union Européenne pourrait être un refuge pour les défenseurs de la démocratie, tel le jeune militant hongkongais Joshua Wong ?

B. G. : C’est parfaitement possible et souhaitable. En tout cas, la Grande-Bretagne, qui n’est plus membre de l’Union Européenne, mais qui reste évidemment un pays européen, a déclaré que ses portes étaient ouvertes aux réfugiés politiques de Hong-Kong.

Aujourd’hui, la Chine persécute les Ouïghours. La réponse de lEurope face à cette violation des droits de lhomme nest-elle pas timide ?

B. G. : Je ne pense pas. Il y a un an, le Parlement Européen a attribué son prix Sakharov à Ilham Tohti, défenseur de la cause des Ouïghours, actuellement emprisonné en Chine. L’attribution de ce prix, à laquelle je suis heureux d’avoir contribué, a beaucoup aidé à faire connaître l’ampleur invraisemblable de la répression chinoise contre les Ouïghours. Aujourd’hui plus d’un million de personnes sont en camp de concentration. La Chine veut détruire les traditions culturelles de ce peuple par le travail forcé, la brutalité et la sauvagerie : non pas par l’extermination, mais par la dissémination, l’assimilation forcée. Les démocraties occidentales ne sont pas si timides que cela sur la question des Ouighours ou sur ce qui se passe à Hong Kong. Mais les chancelleries ne sont pas des associations humanitaires, -à chacun son rôle et sa fonction.

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